Mise à l’épreuve du droit d’accès à l’information dans le secteur agricole au Maroc

 

Le Maroc a développé au fil du temps un système national d’information basé sur les nouvelles technologies appliquées aux domaines économique, financier et institutionnel. L’utilisation de la technologie de l’information et de la communication a pris beaucoup d’avance comparativement à la quasi majorité des pays africains. Cependant et en dépit des efforts consentis, plusieurs contraintes subsistent encore comme la lenteur du changement des mentalités et la non prise en considération des initiatives innovantes des compétences nationales. La bonne gestion de l’information dépendra donc de la capacité de l’administration pour assurer i) la généralisation de l’utilisation de la technologie de l’information et de la communication ; ii) la dématérialisation et le renforcement de la sécurisation des échanges de données ; iii) l’application stricte de la loi relative au droit d’accès à l’information ; et iv) la mise à niveau des systèmes de collecte de l’information.

Le droit de l’accès à l’information est abordé dans cet article au travers le cas du système d’information agricole.

Le Maroc dispose depuis le 12 mars 2020 d’une loi (loi n°31.13) relative au droit d’accès à l’information publique. C’est une réponse à l’obligation de la constitution marocaine de 2011 (Article 27) qui souligne que «Les citoyennes et les citoyens ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique, les institutions élues et les organismes investis d’une mission de service public».

L’accès à l’information, notamment agricole, est un droit constitutionnel et légal

Ce droit tant attendu est essentiel au fonctionnement démocratique du pays, favorise le développement, améliore les performances économiques et rend les autorités publiques redevables pour leur action et leur gestion des deniers publics. Le droit d’accès à l’information factuelle est aussi crucial pour renforcer la participation des chercheurs et des organismes de développement pour l’amélioration de la qualité du travail des services publics et de l’efficience de l’utilisation des ressources du pays.

Depuis mars 2020, force est de constater que, de manière globale, ce droit d’accès à l’information n’est pas respecté malgré l’existence de processus codifiés de demande et d’information, des délais de réponses et la fixation de voies de recours.

Au Maroc, le Haut-Commissariat au Plan produit des informations proactives et complètes

A l’échelle nationale, malgré les problèmes liés surtout à l’activation du Comité de Coordination et des Etudes Statistiques, le Haut-Commissariat au Plan (HCP) réalise un travail proactive très intéressant et couvrant tous les aspects de développement socioéconomique, économique et social. En outre le HCP travaille sur la mise en place des indicateurs de suivi de la réalisation des objectifs de développement durable à l’horizon 2030 en coordination avec les institutions nationales et internationales concernées, pour la production d’indicateurs partagés. Plusieurs institutions nationales publiques et privées actives dans tous les domaines possèdent des systèmes d’information à la pointe de la technologie. En dépit, l’accès à l’information publique reste compliqué.

Depuis 1975, la responsabilité des enquêtes agricoles relève du Ministère de l’agriculture. Depuis lors, le système des statistiques agricoles nationales qui fournissait annuellement des données couvrant plusieurs aspects de la production agricole que ce soit à l’amont ou à l’aval des filières. L’information disponible était diffusée sur support en papier en grande quantité.

Après un tâtonnement injustifié qui a débuté en 2008, il a fallu attendre un nouvel organigramme du Ministère de l’agriculture qui a vu le jour en 2013 et qui a introduit un changement d’orientation des attributions des services des statistiques pour se pencher sur les aspects, notamment de « la préparation et de l’exécution de la stratégie du développement agricole du Maroc». Après presque 10 ans ce rêve s’avère surdimensionné à atteindre.

Black-out sur les documents publics de stratégies dans le domaine agricole et rural

Concernant les aspects stratégiques, force est de constater que dans la pratique tous les volets de la stratégie agricole marocaine (Conseil agricole, Sécurité sanitaire des aliments, organisation de l’interprofession, stratégies sous sectorielles, ….. etc.) sont sous traités par l’expertise internationale « Mckensy et similaire ». Au moment de l’existence de l’internet et la possibilité de dématérialisation des rapports et de l’information, les chercheurs marocains et les élus sont privés d’accéder à l’information rendue possible par les capitaux publics (Plan Maroc Vert, Génération Verte, évaluation des politiques, stratégies et projets de coopération, stratégies spécifiques – Conseil agricole, etc.).

Les cadres et les chercheurs nationaux ont toutes les difficultés pour accéder à l’information pertinente forte incontournable pour contribuer à la formation de nos jeunes, aux élus politiques pour faire les bons choix, et le développement du pays, en général. Les bureaux d’études internationaux et les agences de coopération ont accès à toute l’information et sont forts outillés pour s’approprier le débat et l’expertise dans le pays.

Difficultés d’accès à l’information qui excluent de facto les chercheurs marocains et favorisent les bureaux d’expertise internationale.

En revanche, l’exécution des stratégies agricoles se fait directement par l’Agence de Développement Agricole, les Directions centrales et régionales du ministère de l’agriculture.

Depuis 2013, la nouvelle – ancienne structure avait pour mission principale de produire les statistiques agricoles pour :

  • procéder aux études et recherches visant le développement de l'agriculture aux niveaux régional et national ;

  • collecter, analyser et diffuser les statistiques et les informations agricoles ;

  • étudier et suivre l’évolution des marchés nationaux et internationaux et des prix des produits agricoles, ainsi que des coûts de production et proposer les mesures d’intervention appropriées.

Dissimulation des rapports des évaluations des stratégies / politiques / projets agricoles

 Malheureusement, le système actuel des statistiques agricoles au Maroc ne répond que partiellement :

  • aux besoins de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre des stratégies de développement agricole qui défilent avec des objectifs systématiquement repoussés dans le temps 2010, 2018, 2020, 2030 voire 2050 ;

  • aux besoins de la comptabilité nationale, principale utilisatrice des statistiques agricoles pour l’élaboration des comptes nationaux et pour l’établissement d’un compte satellite agricole fiable ; et

  • aux besoins des autres utilisateurs des statistiques agricoles (organisations professionnelles, universités, banques, investisseurs etc.). Les enquêtes se réalisent, mais les informations les plus importantes restent dans les tiroirs. Celles publiées le sont toujours de manière rétroactive, en particulier sur des sites web qui ne sont pas mis à jour à mesure de la disponibilité de nouvelles informations.

Globalement, l’information remonte de bas en haut, mais il n y’a jamais de retour d’information.

Le Recensement général agricole et les enquêtes du Registre national de l’agriculture sont emprisonnés depuis 2016.

Le Registre national agricole qui devrait se baser sur le dernier recensement agricole de 2015-2016 a été réalisé avec les deniers publics par des cabinets d’expertise, mais on note le blackout sur les résultats de ces travaux. En principe ce recensement permet au Maroc de disposer de données structurelles clés sur le secteur agricole et de constituer une base de sondage actualisée.

Tous les projets de développement agricole et rural visent l’amélioration des revenus, mais aucun système n’est mis en place pour les calculer

Enfin, Au Ministères de l’agriculture, tous les projets agricoles et de développement rural ont pour objectif final l’amélioration des revenus et des moyens d’existence des bénéficiaires. Mais hélas on note l’absence de système de suivi des résultats des projets et surtout leur mise en cohérence avec l’évolution chiffrée des revenus agricoles réels et des conditions de vie des bénéficiaires.

Plusieurs travaux relatifs à la formation du revenu dans les exploitations agricoles au Maroc existent, mais ils ne sont pas exploités à leur juste valeur par les services des statistiques agricoles nationales. Je n’allais pas jusqu’à dire que les experts marocains spécialistes en la matière ne sont même pas consultés à ce sujet.

Difficulté de penser et mettre en place un système d’estimation du revenu et de rémunération du travail en agriculture.

Le revenu agricole des exploitations agricole surtout familiale est actuellement mal connu. Il y a des problèmes de comptabilité pour prendre en considération la différence entre le budget de l’exploitation agricole et celui de l’exploitant, notamment pour estimer l’autoconsommation et la rémunération du travail du groupe familier à sa juste valeur, etc. Il y’a également nécessité de s’appuyer sur l’expertise nationale ayant une meilleure connaissance des caractéristiques des exploitations agricoles marocaines et du contexte rural national.

On y reviendra dans un prochain article. 

 
Mohammed Bajeddi