Régimes et statuts fonciers au Maroc
Les questions foncières ont toujours constitué une contrainte majeure pour le développement de l'agriculture marocaine. Les réalisations concrètes et de portée nationale pour améliorer les structures foncières sont négligeables si on exclut les opérations très limitées de remembrement et d'immatriculation des terres agricoles et du morcellement des terres récupérées pour en créer de petites exploitations agricoles dans le cadre de l’opération de la réforme agraire.
D’ailleurs depuis 1973, la date de la récupération et le morcellement d’un million d’hectare de terres les plus fertiles du pays et ayant une productivité élevée permettant d’exporter, la balance commerciale alimentaire est déficitaire jusqu’à nos jours. Pire le déficit s’est accentué avec la mise en œuvre du Plan Maroc Vert.
En 2002, j’ai publié un article sur les régimes fonciers au Maroc, qui traite entre autres des terres collectives : « La législation spécifique à la "melkisation" des terres collectives dans les périmètres d'irrigation est dépassée. Les dépenses engagées par l'Etat pour faire aboutir ces opérations sont énormes par rapport aux résultats espérés. La solution pertinente et économique revient à avoir le courage politique de régulariser un vécu réel sur le terrain sans pour autant poser de problème d'exploitation optimale des terres agricoles. ».
Le même article a été repris en 2007 pour expliciter davantage les propositions formulées pour résoudre le problème du foncier au Maroc. L’idée d’actualiser cet article est de tenir compte des nouveautés et exprimer l’évolution de ma conception des solutions. On vient d’apprendre après 16 ans de ma proposition la volonté de l’Etat de privatiser « melkiser » un million d’hectare sans dire ni comment ni sous quelle condition de mise en valeur et d’exploitation ! Pour dire que la procédure de melkisation des années 1970 doit subir une simplification significative.
Que de temps perdu !?
Depuis 2008 l'Etat marocain a manifesté un intérêt aux problèmes liés à la diversification de la production agricole et l’amélioration de la productivité. Sans faire de débat ni de concertation avec les professionnels, les politiques ou encore les compétences techniques nationales, une décision top down a été prise en 2008 pour mettre en œuvre une vision « Plan Maroc Vert » forgée chemin faisant et qui s’adresse essentiellement aux grandes exploitations agricoles comme moteur pour atteindre les impératifs de développement agricole.
Malheureusement les réalisations en terme d’enveloppe budgétaire et de réalisations concrètes dans les zones bour sont insignifiantes. C’est pourquoi, il est souvent désolant de constater un écart flagrant entre les intentions - discours démagogues et l’action palpable sur le terrain. Le résultat en est la détérioration sans cesse du niveau de vie des populations rurales.
Le PMV porté par une seule personne et géré comme une entreprise familiale commerciale a éviter d’aborder les contraintes majeures de l’agriculture tels le foncier, les modes d'accès à la terre, à l'utilisation et la conservation des ressources naturelles et la qualification de l'exploitation agricole familiale.
Elle a aussi escamoté l’analyse des conditions d’insertion de PMV dans le cadre d'une politique globale de développement rural et de développement économique et social du pays. En plus, il a contribué largement à l’endettement du Maroc pour distribuer des subventions aux riches propriétaires sans pour autant améliorer la balance alimentaire commerciale qui est de plus en plus déficitaire.
Finalement, tous les problèmes du rural sont plus accentués depuis 2008 dans les terres d’agriculture familiale qui regroupent plus de 90% de la population rurale et subissent le morcellement excessif et continu des terres agricoles suite aux héritages, à la pression démographique sur la terre et aux transactions immobilières, qui affectent de façon directe la production et la productivité terres agricoles. Cette situation anachronique ne permet pas de valoriser l’effort consenti par la population rurale dans les zones bour pour subvenir à ses besoins minimum d’entretien et de reproduction et assurer sa viabilité.
La pression sur la terre est très grande et elle n'est pas de nature à améliorer la productivité des terres. Ce qui implique, entre autre, la libération d'une force de travail sous exploitée dans le secteur agricole. Cette libération a constitué une forme d'intégration de l'agriculture dans le processus de développement dans les pays actuellement développés.
Effectivement, le redéploiement de la force de travail a permis aux pays actuellement avancés de développer une industrie.
Au Maroc, en l'absence d'une industrie capable d'absorber la force de travail libérée de l'agriculture, c'est le capital international qui dirige selon ses intérêts l'élévation du niveau des forces productives.
En face des puissances capitalistes, le Maroc n'a guère de possibilités indépendantes et aussi longtemps qu'il est contraint d'utiliser la technologie étrangère, il aura besoin d'accroître sans cesse le volume de ses échanges extérieurs. Ceci implique le déplacement du surplus réalisé dans l'agriculture vers les pays développés et parallèlement la création de débouché pour leurs imputs industriels.
Devant cette situation, la force de travail libérée du secteur agricole ne peut que subir trois voies : l'immigration vers les villes, ou détournée vers les branches d'activités dominées par le capital international, ou finalement en l'absence d'industrie nationale elle subit tout simplement la dégradation totale et le chômage.